Grève des gardiens dans toutes les prisons francophones de Belgique. Une grève de plus puisque celles-ci se répètent depuis des années. Chaque fois, la presse met en évidence les multiples difficultés rencontrées : manque de personnel, surpopulation, bâtiments vétustes, parfois dangereux, insécurité… Tous ces problèmes créent inévitablement, des conditions de vie indignes d’un être humain pour les détenus et des conditions de travail totalement insatisfaisantes pour le personnel.
Mots-clés associés à cet article : Prison , Convention européenne des droits de l’homme , Gardien de prison , Grève , Référé
À plusieurs reprises, l’État belge a d’ailleurs été condamné pour non-respect des droits des détenus par la Cour européenne des droits de l’homme.
Avec les nouvelles mesures…
La prison a, théoriquement, deux objectifs : punir le coupable et protéger la société, mais aussi « amender » le coupable et lui permettre de se réinsérer positivement dans la société, une mission relevant aussi, partiellement, du ressort des communautés. Mais cette seconde mission n’a jamais véritablement été prise en compte et ne bénéficie pas des moyens nécessaires pour un travail correct. Résultat, selon l’Observatoire des prisons, « Trop souvent, les personnes emprisonnées sortent seules, sans formation, sans travail, sans proche pour les aider. [...] Et puis, il y a l’humiliation, due notamment aux conditions de détention d’un autre siècle qui entraine la dépression, la mésestime de soi, la colère… Rien de très positif pour reconstruire une vie positive à la sortie ».
Les restrictions de moyens contre lesquelles s’insurgent les grévistes actuels vont encore diminuer, voire faire disparaitre toutes les activités pouvant aider à vivre un peu mieux (ou moins mal) en prison, à essayer de préparer sa sortie. Pierre Léonard, président du Service d’aide aux justiciables de Namur, explique en quoi les mesures annoncées auraient des répercussions négatives sur la vie des détenus : « Ces activités sont déjà maintenant limitées puisque nous devons tenir compte du fonctionnement quotidien et du personnel très souvent en service réduit (maladies et congés faisant encore diminuer un personnel déjà trop peu nombreux). Aujourd’hui, les personnes extérieures à la prison, comme les membres du service d’accompagnement des justiciables peuvent pratiquement y entrer de 7 heures à 20 heures. Quand, comme cela est prévu, les gardiens presteront majoritairement de 9 à 15 heures et seront davantage seuls en dehors de celles-ci, nous devrons insérer nos activités dans cet horaire limité. Précisons qu’il est interdit pour nous d’entrer en prison de 11h30’ à 14h30’. Cela veut dire que toutes les activités extérieures, déjà limitées, seront bridées : cours de français, activités culturelles et sportives, ateliers de prévention santé et autres, risquent bien de disparaitre ».
La prison est nocive
En réponse à la grève actuelle, le ministre de la justice envisage la création de… nouvelles prisons ! Or, écrit L’observatoire des prisons, « C’est vrai, il faut protéger la société et l’équilibre de la vie en communauté. En choisissant la prison comme seul horizon de réflexion, certains ont fait le pari que l’isolement d’un individu entre quatre murs (ou la souffrance qui en découle) permet de le neutraliser. Ainsi l’individu s’adapterait à la vie en société précisément en en étant exclu. Plus de 200 ans après l’institutionnalisation de la prison, les résultats de ce pari sont catastrophiques. Personne n’est aujourd’hui capable de démontrer l’efficacité de la prison. Au contraire, il est démontré de façon incontestable que la prison ne fonctionne pas. Elle ne dissuade pas ceux qui s’apprêtent à commettre une infraction et n’empêche pas ceux qui commettent cette infraction de recommencer à leur sortie ».
En Belgique comme dans les pays voisins, juristes, pédagogues, psychologues et autres professionnels, dans et hors des prisons, en constatent tous, depuis longtemps, la nocivité pour la plupart des délinquants en tout cas. Mais en Belgique, le gouvernement envisage de nouveau construire de nouvelles prisons.
Comment expliquer cette non-évolution ?
Le président d’Aide aux justiciables est formel : « Les prisons et le sort des détenus n’intéressent personne ! Pour la majorité du public, ‘si les prisonniers sont en mauvais état dans un mauvais lieu, ils n’ont que ce qu’ils méritent ! Et nous, nous sommes en sécurité !’ et ce public pense qu’il est en sécurité ! » « Pense », insiste notre interlocuteur, qui connait le nombre important de récidives après une libération. « De son côté, la presse soulève facilement le sensationnel et donne de l’importance à des faits divers auxquels les gens réagissent brusquement, sans recul. Quant aux politiques, ils ne se mouillent pas non plus. Défendre les droits des prisonniers, cela ne rapporte pas de voix lors des élections et donc, pour des raisons électoralistes, ils n’essaient pas réellement de faire progresser la cause ».
Autre constat : la justice elle-même ne veut pas vraiment de réforme ! Depuis des années, les magistrats les plus ouverts répètent qu’il faut encourager, développer et donner plus de moyens pour encourager et développer les peines alternatives, comme les peines de travail. Ces dernières n’écartent pas l’auteur d’une infraction du monde de tous les jours, elles ne le coupent pas de sa famille et de son entourage, elles l’aident à mieux se situer dans la société. Autres effets de ces peines alternatives : elles diminuent la population dans les prisons et coutent moins cher à la collectivité. « Mais, précise Pierre Léonard, la plupart des magistrats ne rentrent pas dans cette dynamique, ils ne font sans doute pas confiance à l’homme coupable à l’extérieur des murs de la prison, surveillé par des technologies modernes. ». En attendant, les prisons sont surpeuplées, les gardiens n’en peuvent plus et les détenus sont enfermés dans des conditions indignes.
Plusieurs exemples de ces peines alternatives sont exposées dans le dossier « Vivre sa peine hors de la prison » de Questions Justice.
En attendant, cette grève dure maintenant depuis trois semaines. Les gardiens restent sur leurs positions et n’acceptent pas les propositions du Ministre de la justice. Celui-ci ne répond pas à leurs demandes mais l’État va ouvrir de nouvelles prisons ! Et les détenus vivent dans des conditions de plus en plus inhumaines tandis que leurs familles souffrent à distance, puisque les visites sont supprimées ou limitées.
L’État condamné
En référé, autrement dit en urgence, des détenus attaquent maintenant l’État belge pour dénoncer ces conditions de vie dégradantes et inhumaines suite à la grève. Celui-ci a été condamné à plusieurs reprises, notamment à tout faire pour permettre les visites aux prisonniers. Autre démarche actuelle : à leur tour, les avocats (via leur organisation représentative, c’est-à-dire l’Ordre des barreaux francophones et germanophone) mènent une action en justice contre l’État : avec les restrictions des visites, ils ne peuvent plus rencontrer leurs clients en prison et donc les aider à se défendre. On attend la décision à ce sujet. Cette dernière action montre bien comment la grève actuelle perturbe tout le fonctionnement de la justice pénale.
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