Vous sentez-vous manipulés par les technologies ? Si oui, ne comptez pas sur le film « The Circle » (J. PONSOLDT, 2017) pour vous rassurer !
Voici le regard jeté sur ce film par Massimo Leocata, étudiant dans le bachelier en droit de l’Université de Namur. Cet article est la version remaniée d’un travail réalisé dans le cours de « Sources et principes du droit » enseigné à la Faculté de droit de l’Université de Namur par le professeur Élise Degrave.
Mots-clés associés à cet article : Vie privée , Internet , Cinéma , The Circle , Le Cercle , Art et Justice
Dans ce film, nous suivons Mae, une jeune femme employée par Le Cercle. Cette importante société spécialisée dans les technologies et les médias sociaux se sert de ses inventions pour traiter les données personnelles de ses clients.
Poussée par ses employeurs, qui prônent la transparence totale des individus, Mae décide de participer à une expérience inédite : désormais, chaque instant de sa vie sera filmé par une micro-caméra portée par elle et retransmis en direct.
À partir de là, elle va se rendre compte des effets pervers de la sur-communication et des dangers de la technologie.
Le Cercle aborde une question juridique actuelle : quelle est la réalité du droit à la protection de la vie privée à l’ère du numérique ?
En regardant le film, on comprend combien, aujourd’hui, la « vie privée » ne peut plus se limiter à l’intimité de chacun.
À l’heure où les données personnelles circulent massivement, il faut interpréter le droit à la vie privée comme le droit à l’autodétermination informationnelle, c’est-à-dire le droit de chacun de savoir si ses données sont enregistrées, d’être informé de ce qu’elles deviennent et de s’opposer à leur usage abusif.
Comment empêcher les technologies de bafouer notre droit à la vie privée ?
Des caméras placées en divers endroits, des ascenseurs affichant une photo des usagers glanée sur un média social, une technologie permettant de retrouver n’importe qui aux quatre coins du globe, le tout sans le consentement des personnes concernées, sont autant de créations du Cercle qui font penser à des pratiques que nous voyons apparaître dans nos vies.
Le législateur (c’est-à-dire le Parlement qui fait les lois) tient un rôle central dans le contrôle des technologies. Il est seul compétent pour établir des normes assorties de sanctions. A titre d’exemple, l’amende prévue par le règlement européen pour la protection des données (« RGPD »), pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros, fait réellement peur aux entreprises. Ce RGPD s’applique directement dans les vingt-huit États membres de l’Union européenne.
Toutefois, les technologies sont caractérisées par la rapidité de leur évolution. La loi ne peut donc pas tout prévoir et tout réglementer. Pour cette raison, elle a besoin de s’appuyer sur le travail des juges, dont le pouvoir d’interprétation va permettre aux normes de s’adapter à l’évolution sociétale et technologique, évitant ainsi au législateur de modifier les lois trop souvent.
En tant que citoyens, nous nous sentons parfois démunis face aux technologies.
Pour nous protéger, il importe, d’abord, de prendre conscience de la récolte massive de données à notre sujet, chaque jour. Cette prise de conscience doit nous inciter à nous montrer prudents quant à leur divulgation (sur la toile, notamment). Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, si nous constatons des abus dans l’utilisation de nos données, tant l’Autorité de protection des données (qui est une autorité publique chargée de protéger notre vie privée) que les cours et tribunaux judiciaires et le Conseil d’État peuvent être saisis d’un recours concernant la violation de nos droits.
Les technologies contiennent intrinsèquement un paradoxe. Nombreux sont ceux qui ont conscience de leurs effets néfastes, mais force est d’admettre qu’elles sont à ce point ancrées dans notre vie quotidienne qu’il nous semble impossible de nous en passer. Pourrions-nous, par exemple, boycotter Google ?
La thématique du film fait écho à l’actualité.
En février 2018, un tribunal bruxellois condamnait Facebook pour violation du droit belge. Suite à cette condamnation, le réseau social a décidé d’interjeter appel. L’issue de cette affaire n’est donc pas encore connue à ce jour mais cette première décision illustre le rôle important de la justice dans ce domaine.
Face à l’ampleur de la situation, la société civile se mobilise également et une ONG a vu le jour : « NOYB », fondé par le militant autrichien Max Scherms, se bat pour faire respecter les règles de protection des données. A ce titre, l’organisation a attaqué en justice divers géants d’internet, dans différents pays européens.
En conclusion, la notion de vie privée est intimement liée à l’évolution technologique. Il est important que la loi suive cette évolution et l’encadre pour que notre droit au respect de la vie privée soit protégé par des normes étatiques.
Au terme du film, nous comprenons à quel point la transparence est aujourd’hui inévitable dans notre société. L’enjeu est donc de pousser les géants technologiques à faire, eux aussi, beaucoup d’efforts de transparence et de loyauté, pour rééquilibrer la relation entre le citoyen et les entreprises qui développent leur activité au départ de nos données.
Pour ce faire, nous devons notamment nous assurer que les sanctions prévues par le droit soient effectives afin de gagner le « combat » face à ces multinationales. Dans un État de droit, ce n’est ni aux entreprises ni aux technologies de faire la loi.
« The Circle » : les technologies font-elles la loi ?
6 janvier 2019
skoby
Vos commentaires me paraissent tout-à-fait valable.
Vous décrivez les risques d’abus ainsi que la façon dont
la Justice va devoir évoluer en fonction de ces nouvelles
technologies. Tout cela me paraît aller dans le bon sens.
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