Les actuelles conditions de travail des juges polonais posent question. En effet, elles ne leur permettent plus de travailler de manière indépendante.
Mots-clés associés à cet article : Indépendance , Séparation des pouvoirs , Démocratie , État de droit , Pologne , Système judiciaire
Dans un article précédent, Questions-justice a déjà abordé la situation de la justice polonaise (« La Pologne ne reconnait plus le droit européen », 18 février 2022).
Deux initiatives du pouvoir politique sont jugées particulièrement inquiétantes par les magistrats polonais.
Sources d’inquiétude
La majorité des membres du Conseil polonais de la magistrature (équivalent du Conseil supérieur de la justice belge) sont maintenant désignés par le gouvernement polonais. On parle alors de « nominations politiques ». À son tour, ce Conseil désigne de nouveaux juges. Leur indépendance, et donc celle de la justice par rapport au pouvoir politique, n’est plus respectée. L’indépendance de la justice étant indispensable à un État de droit, celui-ci est mis à mal en Pologne.
La création d’une chambre disciplinaire est une autre source d’inquiétude. Cette chambre juge et punit des magistrats jugés trop indépendants par le pouvoir. C’est le cas lorsqu’ils posent des questions à la Cour de justice de l’Union européenne, qu’ils s’interrogent sur la légalité de la nomination des nouveaux juges ou simplement qu’ils défendent en public l’État de droit. Ils le font en alertant la presse, les institutions européennes, leurs collègues. Ils rencontrent la population pour l’informer sur la citoyenneté et l’État de droit et pour la former à ces notions. Même dans festivals rocks !
Que peut faire l’Europe ?
Les juges polonais espèrent être aidés dans leur combat par les institutions européennes.
En octobre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà condamné la Pologne à une astreinte d’un million d’euros par jour jusqu’à la suppression de la chambre disciplinaire de la Cour suprême. Mais la Pologne ne reconnait plus la primauté du droit européen sur le droit polonais.
Suite au Covid, le pouvoir polonais attend cependant des fonds européens. Ceux-ci ont été bloqués par la Commission européenne, qui exige des garanties sur l’indépendance de la Justice. Les juges polonais craignent que la Commission européenne débloque ces fonds après une réforme « de façade », une réforme qui ne respecte toujours pas l’indépendance des juges.
Ils demandent à la Commission d’être vigilante.
Ils craignent aussi qu’elle soit moins exigeante vis-à-vis de la Pologne parce que celle-ci aide les réfugiés ukrainiens victimes de la guerre avec la Russie. En réalité, ce sont surtout des citoyens qui accueillent les réfugiés mais, au nom de l’accueil des Ukrainiens, le pouvoir tente de faire passer des lois qui limitent les libertés.
La Pologne réagit et…
Pour pouvoir obtenir les fonds européens, la Pologne devrait donc rétablir l’indépendance de la justice. Elle a seulement, en juillet 2022, supprimé la chambre disciplinaire. Elle l’a remplacée par une « chambre de responsabilité professionnelle » qui ne garantit pas non plus l’indépendance et l’impartialité des onze juges qui en font partie. Elle n’a pas changé le Conseil qui désigne les juges ni réinstallé les juges suspendus par l’ancienne chambre disciplinaire.
Ces décisions semblent bien être de la poudre aux yeux. Pourtant, le 17 juin 2022, le Conseil de l’Union européenne a accepté le principe d’octroyer à la Pologne l’aide prévue suite au Covid.
Quatre organisations de juges réagissent
Suite à cette décision du Conseil de l’Union européenne, quatre associations de juges ont introduit un recours contre la décision du 17 juin 2022 devant la Cour de justice de l’Union européenne. Elles en demandent l’annulation. Chacune des quatre organisations a pour objectif de défendre l’indépendance et l’impartialité des juges dans toute l’Union européenne. Parmi elles, trois sont des associations de juges polonais ou ont des magistrats polonais parmi leurs membres.
Ces associations estiment que les conditions à respecter pour toucher les fonds européens ne sont pas réunies, qu’elles n’assurent pas l’indépendance des juges et du pouvoir judiciaire.
Le combat de tous
Les juges ne se battent pas pour eux-mêmes mais pour tous les citoyens. En réalité, leur indépendance est indispensable pour que leurs jugements ne soient pas influencés, dépendants ou soumis à un parti ou un pouvoir politique.
Mais leur combat dépasse la Pologne et concerne toute l’Europe. En effet, avec les nominations politiques actuelles, les autorités polonaises proposent des candidats pour les juridictions internationales, qui pourraient dès lors ne pas être indépendantes par rapport à leur pays. Ces juridictions internationales pourraient alors, à leur tour, ne plus pouvoir fonctionner de manière totalement indépendante.
Il pourrait aussi arriver à un non-Polonais d’être jugé par un tribunal polonais et donc ne pas y trouver l’indépendance qui devrait être garantie.
Enfin, le risque que ces pratiques d’un pays qui ne respecte plus l’État de droit fasse tache d’huile est aussi à prendre en compte. D’autres États pourraient à leur tour ne plus le respecter et voilà encore une importante raison du combat des juges polonais.
Des juges polonais se battent courageusement : « Si je ne le faisais pas, j’aurais l’impression d’avoir reculé au moment-clé », a dit l’un d’eux (Igor Tuleya) lors d’une rencontre récente avec des magistrats belges.
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