On entend parfois parler d’un « gouvernement des juges », comme si les juges prenaient des décisions à la place du gouvernement et du parlement.
Est-ce la réalité ?
Mots-clés associés à cet article : Séparation des pouvoirs , Pouvoir judiciaire , Pouvoir législatif , Gouvernement des juges , Pouvoir exécutif
Cette expression est utilisée par certaines personnes notamment lorsqu’une juridiction (Conseil d’État, Cour constitutionnelle, Cour européenne des droits de l’Homme par exemple) juge qu’une loi ou une décision d’un gouvernement viole les règles de droit. Un exemple récent : la Cour suprême britannique (la plus haute juridiction britannique, équivalente à la fois à notre Cour constitutionnelle, à notre Cour de cassation et à notre Conseil d’État) a décidé, en septembre dernier, que la suspension du Parlement pendant quelques semaines, décidée par le Gouvernement, était illégale ; cet arrêt n’a pas plu à Boris Johnson, Premier Ministre britannique.
Autres exemples, en Belgique : en mars 2018, la Cour constitutionnelle a annulé la loi obligeant les assistants sociaux des CPAS à rompre le secret professionnel en cas de soupçon d’une infraction terroriste ; en avril 2019, le Conseil d’État a suspendu l’arrêté royal permettant de détenir des mineurs de familles en situation irrégulière, au centre « 127bis », situé à côté de l’aéroport de Zaventem. Chaque fois, les responsables politiques ont estimé que ces juridictions allaient au-delà de ce qu’elles pouvaient faire. Ils les ont critiquées en disant que, ce faisant, elles se comportaient comme un « gouvernement des juges ».
Il y a aussi des situations où des responsables politiques sont condamnés par la Justice pour avoir commis des infractions pénales, ce qui ne plaît pas toujours non plus à quelques responsables politiques, surtout, bien entendu, les principaux intéressés et ceux qui leur sont proches. Il en a encore été question récemment lorsque la presse a évoqué le prochain procès d’Alain Mathot, ancien bourgmestre de Seraing, poursuivi à Liège dans l’affaire Uvelia.
Une question très actuelle
Cette expression est-elle à prendre au pied de la lettre ? Signifie-t-elle que les juges décident à la place des hommes politiques alors qu’eux-mêmes ne sont pas élus par la population ? Dans ce cas, ils ne respecteraient pas la séparation des pouvoirs, indispensable dans un pays démocratique ; pour rappel, le pouvoir législatif crée les lois, le pouvoir exécutif permet leur application et le pouvoir judiciaire intervient quand ces lois ne sont pas respectées. Quand un juge interprète la loi dans un sens contraire à ce que le parlement a décidé, parlement élu par la population, sa décision est-elle encore démocratique alors qu’il n’a pas été élu ?
La question de ce pouvoir des juges se pose dans l’actualité, puisque, comme on vient de le montrer, certains estiment parfois qu’il y aurait un « gouvernement des juges ». Elle se pose aussi parce que, dans nombre de pays européens, les autorités politiques prennent des décisions qui restreignent les possibilités d’action de la Justice, ce qui, parfois, peut s’expliquer par le sentiment de ces responsables qu’ils seraient confrontés à un « gouvernement des juges ». Il y a même des situations extrêmes où, comme en Hongrie ou en Pologne, le gouvernement a écarté des juges de la Cour constitutionnelle qui ne lui plaisaient pas. Dans d’autres pays, en Belgique par exemple, même si ce n’est pas nécessairement lié à des reproches faits par les responsables politiques sur un prétendu « gouvernement des juges », la Justice manque de moyens pour être réellement efficace et indépendante.
Des avis divergents
Dans une vidéo figurant sur Questions-Justice, François Daout, aujourd’hui président de la Cour constitutionnelle belge nous donne l’explication suivante : « Ceux qui parlent de gouvernement des juges ont peur que les juges décident de tout et que la représentation politique (députés, sénateurs) ne serve à rien puisque les juges décideraient de tout alors qu’ils n’ont aucune légitimité démocratique. Ce serait critiquable, haïssable. Mais qu’un citoyen ait de plus en plus facilement la possibilité de demander à un juge de dire le droit dans une affaire qui l’intéresse particulièrement ne veut pas dire que le juge gouverne. Qu’il dise le droit ne signifie pas qu’il fait la loi, le règlement. Il renvoie à l’autorité compétente. Le juge n’édicte aucune règle, il contrôle les règles par rapport à des normes de référence, quand on le lui demande. Il ne se saisit d’aucune affaire et ne décide jamais à la place du législateur » (« norme de référence », cela veut dire : règle supérieure qui constitue le critère sur lequel le juge se base pour prendre sa décision).
Certains estiment que, par leurs décisions contestant des décisions de gouvernements, les Cours constitutionnelles obligent ces gouvernements à approfondir les droits, les lois. Ces décisions veulent faire respecter la démocratie entre les élections. Elles rappellent des principes (particulièrement ceux mis en évidence par les différents textes proclamant les droits de l’Homme) qui s’imposent à tous, ministres, parlementaires ou citoyens.
Enfin, si le gouvernement des juges bouscule le principe de la séparation des pouvoirs, « il a au moins le mérite de servir de garde-fou » contre « d’éventuelles dérives des autres pouvoirs », concluent Alice Dejollier et Justin Verschueren, assistants à l’Université catholique de Louvain, dans un article de Justice-en-ligne.
Existe-t-il un gouvernement des juges ?
6 mars 2021
Nietzsche
Le système français, fondé sur la répartition des pouvoirs idéalisée par Monestequieu, diffère considérablement du système nord-américain, qui a ensuite été copié par la plupart des pays du monde.
Le terme « gouvernement des juges », comme on l’appelle, a été utilisé pour la première fois dans ce contexte par le juriste français Édouard Lambert en 1923. Cette expression provient de l’Ancien Testament, d’un passage qui peut être considéré comme l’origine du rôle politique des juges dans la tradition judéo-chrétienne. Lambert a critiqué le système américain en s’exprimant ainsi, car à l’extrême il pouvait être considéré contraire à la notion même d’État laïque.
Lorsque la Révolution française éclata, il y avait 2 types de tradition juridique en France : celle observée dans le nord, des racines germaniques, inspirée par la Loi Salique, et l’autre dans le sud, dite « ius commune », l’équivalent continental à la Common Law anglaise. Le « ius commune » portais une grande influence du droit canonique et conservait un rôle plus actif pour les juges, selon la tradition juridique judéo-chrétienne, aussi appelée droit romaine. Avec la Révolution, cependant, la tradition juridique du nord de la France s’est imposée au reste du pays et a également consolidé à la fois l’État laïque et le rôle du juge français de "bouche de la loi". Je pense qu’aujourd’hui encore, il ne existe presque pas de gouvernement des juges en France grace à son histoire. En Belgique, cependant, je ne saurais pas comment donner un avis.
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Existe-t-il un gouvernement des juges ?
25 octobre 2020
colassin michel
le gouvernement peut-il prend des décisions a l’encontre de citoyens qui mes en danger les personnes
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Existe-t-il un gouvernement des juges ?
4 novembre 2020
Durupt Matthew
Je dirais primairement que oui, car les libertés individuelles peuvent être subsitutées si la personne met en danger la nation, ou les autre personnes de titre morales.
Pour répondre clairement, Oui, le gouvernement peut prendre des décisions à l’encontre de citoyens qui mettent en danger d’autres personnes.
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