L’actualité commentée

Janvier 2023

Paroles de jeunes placés par la justice

Le 30 janvier 2023

Puisqu’ils vivent en Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ), de jeunes hommes doivent avoir un avis particulier sur la justice et son fonctionnement.

C’est pourquoi ils ont été individuellement interviewés pour l’enquête « Vous avez dit justice ? », menée en partenariat par Défense des enfants International (DEI) et le Forum des jeunes, dont il a été question dans un précédent article, publié ce 20 janvier 2023 sur Questions-Justice. Il était effectivement intéressant de poser des questions plus précises, plus pointues, à des jeunes qui avaient eu affaire au tribunal et donc été en contact avec un juge de la jeunesse.
Voici les questions et réponses de quarante-quatre jeunes hommes vivant au moment de l’enquête dans trois IPPJ différentes de Belgique francophone.

Informés ?

Ont-ils reçu des informations concernant leur affaire au tribunal ? 24,4 % des jeunes estiment avoir reçu beaucoup d’informations tandis que 8,9 % disent n’en avoir eu aucune. Les autres en auraient eu quelques-unes ou vraiment peu.
Mais de quelles informations s’agit-il ? Leur ont-elles permis – et dans quelle mesure - de comprendre ce qui leur était reproché, comment se déroulait la procédure, quels étaient leurs droits ou encore qui étaient les différentes personnes rencontrées ? Les enquêteurs l’ignorent.
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Qui informe ?

Qui vous a informé ? En premier lieu les avocats, disent 60 % des jeunes gens, puis les juges, précisent 37,8 %. Suivent le personnel du secteur social et l’entourage personnel, parmi lequel 15 % citent les parents et 8,9 %, les amis.
Les enquêteurs ajoutent : les informations doivent être adaptées à l’âge et à la maturité des mineurs, de manière à leur permettre de comprendre leur propre situation.

Compris oui ou non ?

Et justement, la question suivante demande : « As-tu compris les informations reçues ? ». « Non », répondent 8,9 % des jeunes, « Un peu », disent 55,5 % et « Oui », précisent 35,6 %. Mais les enquêteurs s’interrogent : « Il est possible que l’option de réponse « Un peu » ait attiré des jeunes qui hésitaient à affirmer qu’ils n’avaient pas vraiment compris les informations… ». Et cela, parce que certains jeunes expliquent, par exemple : « On m’a dit tellement de mots que je ne comprenais pas ».
Autre commentaire : il y a la compréhension de l’information mais aussi ses implications. Ainsi un jeune explique : « Je m’en foutais un peu des infos, je voulais juste savoir ma peine c’était quoi ».
En commentaire, les enquêteurs insistent encore sur l’importance des informations et explications données, de manière pédagogique, en prenant le temps, pour que les jeunes puissent se sentir acteurs de leur parcours.

Bien préparés avant l’audience ?

55,6 % des interviewés disent avoir été mal préparés avant l’audience tandis que 33,3 % ont un avis positif. Information et préparation semblent bien liées : insuffisamment préparés, disent certains, parce que manquant d’information. L’un d’entre eux explique : « Je n’ai reçu aucune information, mon avocate était à peine là et elle a été remplacée par un autre avocat en dernière minute. Le manque de préparation et d’information m’a fait sentir que la décision du juge était injuste. J’aurais aimé plus de préparation pour m’aider à comprendre »
Recevoir des informations et bien les comprendre permettrait donc une meilleure préparation à l’audience.

Détendu, joyeux, stressé, neutre… ?

« Comment t’es-tu senti pendant l’audience du tribunal ? Détendu, joyeux, stressé, triste, en colère, neutre, autre ? ».
Les jeunes pouvaient choisir plusieurs réponses parmi ces propositions. En ordre décroissant : 35,5 % optent pour la colère, 31,1 % pour le stress, 28,9 % pour la tristesse. 15 % évoquent la détente et 6,7 % disent être restés neutres. Certains expliquent avoir voulu maîtriser leurs émotions : « J’étais en colère et stressé à l’intérieur mais j’avais l’air neutre ». D’autres évoquent la tristesse, alors en lien avec l’entourage : « J’étais triste parce que ma mère pleurait ».

Du soutien ? De la part de qui ?

64,4 % des jeunes disent avoir été soutenus pendant la procédure. Ils évoquent l’avocat (24,4 %), les parents (22,2 %), la mère, la famille et les travailleurs sociaux (15,5 %), suivis des psychologues (4,4 %), du père (2,2 %) et enfin du juge (2,2 %).
Selon les enquêteurs, les jeunes associent sans doute les avocats, parents et travailleurs sociaux à des alliés. Au contraire, les juges n’apparaissent guère comme une source de soutien, sans doute parce qu’ils jouent un rôle d’autorité.
Commentaire encore des enquêteurs : l’intervention du juge est décisive pour le jeune mais dans un temps limité. Or le temps et l’attention sont bien utiles pour créer un lien, surtout un lien de confiance.

As-tu parlé pendant l’audience ?

As-tu parlé mais aussi « As-tu eu l’impression de pouvoir raconter ta version de l’histoire ? ». 46,7 % des jeunes disent avoir pris la parole pendant l’audience tandis que 40 % signalent l’avoir prise « un peu ». Ils sont seulement 13,3 % à être restés totalement silencieux.
Parler « un peu », parce que le déroulement de l’audience est très formel : « Je n’ai pas eu l’occasion de parler, en fait, tu entres dans la salle, tu t’assieds, le juge te demande pourquoi tu as fait ça, tu essaies de répondre, tu ne sais pas forcément le faire, il commence à s’énerver, puis il donne la parole à l’avocat, puis l’avocat parle, puis il prend sa décision ». Certains estiment que le manque d’écoute des juges ne permet guère la prise de parole : « J’ai essayé de parler mais la juge n’a pas voulu entendre quoi que ce soit, je n’ai pas eu mon mot à dire ».
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Quant à raconter sa version des faits, 34,1 % disent avoir pu le faire tandis que 38,6 % disent non. Bien qu’ils répondent oui, certains nuancent : « J’ai bien parlé mais je ne me suis pas senti entendu, j’ai l’impression d’avoir parlé pour rien, on ne m’a pas écouté ».
D’autres ont l’impression que leur prise de parole est inutile, qu’elle ne sera pas prise en considération, que les juges ont déjà une idée préconçue.
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Un traitement équitable ?

« As-tu eu l’impression d’avoir été traité de manière équitable ? », questionne ensuite l’enquête. « Un peu », répondent 44,4 % des interrogés, « Oui », disent 33,3 % et enfin « Non », affirment 22,2 %. Certains jeunes précisent : « Un blanc passe devant un juge ou moi je passe devant un juge pour ces mêmes faits, moi ils vont plus me casser la tête ». Ou encore : le traitement judiciaire peut varier « en fonction des origines, en fonction des moyens financiers ».

Comprendre la décision ? L’accepter ?

« As-tu compris la décision que le ou la juge a prise pour toi ? ». « Oui », disent la majorité, totalement ou en partie. Pas du tout ou pas vraiment, répondent 30,3 %.
Les enquêteurs auraient trouvé intéressant de pouvoir préciser ce que signifiait réellement cette compréhension de la décision. Ainsi la nécessité de la mesure prise, l’aspect pédagogique de la sanction est-il ou non compris ?
Quant à la satisfaction liée à la décision, ils sont 65 % à n’être pas du tout ou pas vraiment satisfaits, ce qui semble logique puisque tous les jeunes interrogés étaient placés en IPPJ au moment de l’enquête. 28 % se disent satisfaits « en partie » et 7 % « totalement satisfaits ».
Les enquêteurs pensent qu’une meilleure compréhension de la décision devrait aider à l’acceptation et à la satisfaction. En pratique, les jeunes perçoivent facilement la sanction, et surtout l’enfermement, comme excessifs.
Certains jeunes cependant sont lucides et connaissent le manque de solution pour la prise en charge de jeunes qui ne peuvent pas retourner en famille : « Pour moi, on place les jeunes en IPPJ parce qu’on ne sait pas où les mettre alors qu’on pourrait trouver d’autres solutions ».

Un message ?

« Est-ce que tu aimerais faire passer un message pour aider de futurs jeunes ? », questionnait enfin l’enquête en guise de conclusion. 35 jeunes sur 44 ont répondu. Extraits et « messages » en sens parfois opposés : ne pas faire de bêtises, éviter les conneries ou bien ne pas se faire choper, s’adapter, gérer la frustration et essayer de respecter le règlement ou s’effacer complètement, se faire petit, travailler avec le Service d’aide à la jeunesse (SAJ). Il est enfin question d’investir dans l’avenir, d’explorer les possibles et de continuer à avancer : « Force, patience, rien n’est perdu » et… « Bonne chance ».

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