Les rouages de la justice

Résoudre un conflit autrement

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La médiation, c’est l’avenir

Le 23 décembre 2015

Parce qu’elle a foi en l’humain, Louise-Marie Henrion, présidente du tribunal de commerce de Namur, défend passionnément le recours à la médiation. Nous l’avons interviewée à ce sujet.

« Je crois profondément que chacun fait du mieux qu’il peut, là où il en est. Certaines personnes ne sont pas très loin, d’accord, et d’autres sont un peu plus loin. Nous sommes aussi des êtres extraordinairement complexes et, quand nous prenons une décision, mille choses interviennent. Et puis, à un moment, on peut déraper, ça arrive à tout le monde. Mais admettons que nous ne sommes que des êtres humains ! Et sortons du jugement d’autrui ! Quand, dans un conflit, on dit de l’autre qu’il est un salaud, eh bien il pense exactement la même chose de nous. Il n’y a aucun gagnant et personne n’avance dans la recherche d’une solution. »

Qu’est-ce qu’une médiation ?

« Une médiation, c’est une négociation approfondie parce qu’elle touche aux émotions des gens et aux besoins derrière celles-ci. Un évènement a provoqué un conflit né d’une émotion et, pour arriver à comprendre ce qui s’est passé et dénouer ce conflit, la médiation va prendre en compte l’évènement et, chez chacun, les émotions en cause et les besoins non rencontrés. Le conflit n’est pas considéré comme un produit extérieur, des personnes sont concernées, avec leur humanité profonde. »
Quel est le rôle du médiateur ?
« Le médiateur est juste quelqu’un qui aide les gens à communiquer. C’est un facilitateur de la communication qui recrée le contact, le dialogue là où les gens pensent : ‘Il m’a eue - Je suis trahi - Je ne veux plus le voir…’. L’idée, c’est qu’au départ, des gens ont voulu vivre ensemble (en médiation familiale) ou travailler ensemble (en médiation commerciale). Ils se sont aimés ou appréciés. Leur relation a commencé dans de bonnes conditions, il n’y a pas de raison qu’ils ne puissent en sortir dans de bonnes conditions. Mais pour cela, il s’agit d’arrêter de juger, de supposer que l’autre est le salopard.
Le médiateur va aider les gens à se reparler, à chercher les possibles solutions, à trouver eux-mêmes un accord. Il est totalement neutre, il ne doit avoir aucun pouvoir. Il n’est pas en possession d’un dossier et, la plupart du temps, si les intéressés le lui proposent, il le refusera. Il ne donne pas non plus d’informations techniques mais il peut dire : ‘Prenez conseil, vérifiez bien que cet accord est ce qu’il y a de mieux, de plus sécurisant pour vous’. »

Médiateur ou juge ont donc des pratiques très différentes ?

« Un juge est lié par la demande qui lui est faite et par la défense. Il est dans un cadre, il n’a qu’une version partielle des choses, il ne connait rien de la vie des personnes concernées et parfois l’une réagit : ‘Ce n’est pas vrai !’ et l’autre doit alors prouver ce qu’elle a dit. Le juge est lié par les règles de charge de la preuve : quelque chose qui ne peut être prouvé n’est pas pris en compte. Pourtant, peut-être était-ce vrai et la personne en cause n’est pas reconnue dans ce qu’elle a vécu et dit.
La solution du juge arrête la guerre mais elle ne va pas satisfaire les gens parce qu’elle ne répond pas totalement à leurs besoins fondamentaux. En fait, les gens sont beaucoup plus malins pour savoir quelle est la bonne solution pour eux !
La grosse différence entre jugement et médiation, c’est que la médiation sort du factuel, du mental pur, du rationnel pour entrer dans une dimension beaucoup plus grande, qui est à la fois le rationnel et l’humain, l’émotionnel. Nous avons tous besoin de reconnaissance et, à partir du moment où nous nous sentons écoutés et reconnus, il n’y a plus de litige, plus de conflit. Tant que nous ne sommes pas reconnus, c’est l’horreur, nous nous sentons rejetés. Nous ne sommes pas des cerveaux sur patte ! »

Quelles sont limites de la médiation ?

« Je pense que les limites sont celles que les gens se donnent, au-delà desquelles ils ne savent pas encore se déployer. Ma croyance profonde, c’est que nous sommes des êtres magnifiques. Tous, mais nous avons pris quelques baffes à l’arrivée, nous avons nos blessures et le chemin de vie est un chemin de réparation, d’évolution. Si nous le prenons comme tel, nous allons vers le haut, nous grandissons, nous sommes dans notre mission humaine. Si nous restons scotchés sur ‘l’autre est un salopard’, nous n’avançons pas. Attention, je ne jette pas la pierre à celui qui dit que l’autre est un salopard parce que nous avons tous eu des moments où nous le pensions, le disions. C’est juste, à un moment donné, essayer de trouver les chemins pour dépasser ce jugement. »

Peut-on mesurer l’efficacité de la médiation ?

« Quand il y a un accord en médiation, il est exécuté à 99 % alors qu’un tiers des jugements ne sont pas ou seulement partiellement exécutés, toutes matières confondues. Donc un procès sur trois n’a rien résolu mais les personnes concernées ne peuvent plus rien faire !
Personnellement, j’ai vu nombre de gens s’ouvrir parce qu’ils avaient pu être reconnus. Avant, ils étaient dans l’opposition. Mais ils avaient pu parler, se parler et s’entendre et l’autre avait dit : ‘Je suis désolé de ce qui s’est passé, je ne l’ai pas vécu comme ça ou je n’ai pas pu faire autrement’. C’est incroyablement réparateur ! 
Précisions : financièrement, la médiation est toujours moins couteuse qu’un recours à la justice. Il n’y a pas de frais d’huissier, de citation, de mise au rôle, d’avocat… Si ce dernier peut être consulté, c’est uniquement pour un conseil précis et non pour commencer une action judiciaire. La médiation est aussi plus rapide.
À mes yeux, on est toujours gagnant en allant en médiation ! »

La médiation, c’est l’avenir ?

« Je crois profondément à notre humanité à tous, je crois que notre chemin c’est de passer par là, de sortir des règles, des structures et d’arrêter de demander à Papa et Maman de décider pour nous. Parce que c’est ça, la justice : ‘Papa, c’est un emmerdeur, tu vas aller lui dire parce que tu as vu ce qu’il m’a fait, c’est dégueulasse !’.
Il faut que les jeunes intègrent le plus vite possible qu’il y a moyen de sortir d’un conflit par la communication et qu’il ne faut surtout pas se bloquer. C’est fondamental parce que nous sommes dans un monde où tout va de plus en plus vite, les gens n’auront pas le temps de faire des procès qui vont leur couter un pont et ne serviront à rien. Je vois, par exemple, la plupart des entreprises qui ont très peu de trésorerie et pas les moyens d’un procès. Elles n’ont pas de marge de manœuvre et doivent récupérer rapidement une somme due par un client sinon elles sont par terre…
Il existe des formations à la médiation, elles ne sont pas gigantesques et je conseillerais à tout jeune, quel que soit son futur métier, de suivre cette formation. Apprendre à exprimer ses besoins et à écouter ceux de l’autre l’aidera à communiquer, là où il travaillera, en interne, en externe comme dans sa vie privée, d’enfant, de parent, de conjoint ! »

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