« On n’enferme pas un enfant. Point » : ce slogan d’une récente campagne de lutte contre l’enfermement des enfants étrangers en situation illégale dans notre pays, est tout-à-fait clair. Pourtant, la détention d’enfants migrants et de leurs familles en séjour irrégulier existe bien en Belgique. Et elle est légale !
Mots-clés associés à cet article : Office des étrangers , Mineur , Réfugié , Intérêt de l’enfant , Droit au respect de la vie familiale , Centre fermé , Droit d’asile
Remontons une quarantaine d’années en arrière pour découvrir les lois belges.
1980 : une première loi
Quand des étrangers vivent en Belgique sans en avoir obtenu l’autorisation, ils peuvent être arrêtés. Ils sont alors placés, détenus, dans un centre fermé en attendant d’être « éloignés », autrement dit renvoyés dans leur pays.
Une loi du 15 décembre 1980, relative au droit d’asile et à l’immigration, autorise effectivement la privation de liberté des personnes étrangères, illégalement en Belgique, en attendant leur « éloignement effectif ».
2009 : des « maisons de retour »
À plusieurs reprises, la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour la détention de familles avec des enfants mineurs en centres fermés. En réponse à ces condamnations, des « maisons de retour » ont été crées. Les familles arrêtées sont obligées d’y résider mais les enfants peuvent théoriquement aller à l’école et les adultes sortir occasionnellement, en respectant toutefois des conditions précisées dans une convention signée avec l’Office des étrangers.
2011 : une convention à respecter
La loi du 16 novembre 2011 modifie celle du 15 décembre 1980. Une famille avec enfants mineurs en séjour irrégulier en Belgique « n’est pas placée dans un lieu de détention […] à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs ».
La détention en centre fermé reste autorisée, pour une durée limitée, si la famille ne respecte pas la convention signée avec l’Office des étrangers. À moins qu’une autre solution, moins contraignante, soit trouvée et applicable.
Par rapport à la loi de 1980, la privation de liberté n’est donc toujours pas interdite mais elle doit être exceptionnelle.
2013 : d’accord mais…
Le 19 novembre 2013, la Cour constitutionnelle a décidé : l’enfermement des familles avec enfants mineurs, en séjour irrégulier, en attente de leur éloignement, respecte bien leurs droits fondamentaux mais à condition que ces lieux soient adaptés aux besoins des familles avec enfants.
Cela signifie que :
- ces familles ne sont détenues qu’en dernier ressort (c’est-à-dire si on ne peut vraiment pas faire autrement) et pour la durée la plus courte possible ;
- ces familles disposent d’un hébergement séparé, permettant l’intimité ;
- les mineurs peuvent avoir des activités de loisir, des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge ; qu’ils ont, si leur séjour dure, accès à l’école ;
- l’intérêt supérieur de l’enfant est primordialement pris en compte (c’est une manière de dire que respecter l’intérêt de l’enfant est toujours une priorité quand une décision qui le concerne doit être prise).
2014-2018 : sous le gouvernement Michel
Dans son accord du 9 octobre 2014, le gouvernement Michel prévoit l’aménagement de lieux de détention et d’hébergement pour certains groupes vulnérables comme les familles avec enfants. Un arrêté royal est adopté en 2018 et précise comment se passeront les détentions dans ces lieux.
Quatre maisons familiales fermées, dites adaptées aux besoins des familles avec enfants, sont construites dans l’enceinte du Centre fermé 127bis, à côté de l’aéroport de Bruxelles-National à Zaventem.
Du 14 août 2018 au 15 mars 2019, neuf familles avec 22 enfants ont été enfermées dans ces maisons.
De vives réactions
Les premiers enfermements provoquent de vives réactions de la société civile. La campagne « On n’enferme pas un enfant. Point. » est soutenue par plus de 300 organisations. Une pétition est signée par plus de 45 000 personnes.
L’Ordre des barreaux francophone et germanophone (qui représente les avocats du sud du pays) et quinze associations de défense des droits de l’Homme et de l’enfant adressent un recours en annulation et une demande de suspension au Conseil d’État.
2019 : oui mais, oui si…
Le 4 avril 2019, le Conseil d’État estime que l’arrêté royal cause « une atteinte suffisamment grave aux intérêts des personnes » et que l’urgence d’une réaction judiciaire est donc justifiée.
Il estime que la détention de ces familles pourrait entrainer des traitements inhumains et dégradants et que le respect de la vie privée et familiale n’est pas respecté.
C’est pourquoi il suspend quatre articles de l’arrêté de 2018 ; ce faisant, l’arrêt du Conseil d’État a les effets suivants :
- il interdit de limiter l’accès à l’extérieur des maisons à deux heures par jour ; en effet, la Cour européenne des droits de l’Homme estime que des périodes de détente en plein air sont une nécessité pour les enfants détenus ;
- il interdit l’accès des maisons au personnel entre 6 heures et 22 heures : il s’agit de respecter le droit à la vie privée et familiale et au domicile ;
- il interdit le placement d’un enfant d’au moins seize ans au cachot, hors des maisons familiales :cela serait un traitement inhumain et dégradant, interdit par la Convention européenne des droits de l’Homme ;
- il interdit la détention des familles dans des maisons familiales où les enfants seraient exposés à des nuisances sonores très importantes.
Et donc ?
Concrètement, cette dernière interdiction signifie qu’aucune famille ne peut plus être détenue dans les maisons familiales du Centre 127bis puisque celui-ci est bâti à côté de l’aéroport de Zaventem. Les bruits des avions sont clairement une nuisance sonore particulièrement importante.
C’est donc un petit progrès puisque l’arrêt du Conseil d’État suspend les séjours au 127bis. Attention : une suspension n’est pas une annulation et le Conseil doit encore se prononcer sur une annulation des articles suspendus.
C’est aussi un petit progrès puisque l’enfermement des enfants et de leur famille, migrants illégaux sur le sol belge avant leur éloignement, reste légal dans d’autres maisons que celles du 127bis. On constate cependant que l’arrêt du Conseil d’État met en évidence la difficulté, voire l’impossibilité, de trouver un centre de détention adapté aux enfants, en tenant compte de leur « intérêt supérieur ».
Rappelons enfin que le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies a déclaré, en 2017, que « la détention d’un enfant mineur, de parents migrants, est une violation des droits de l’enfant et contraire à son intérêt supérieur. De très sérieuses études démontrent effectivement que, quelles que soient les conditions de détention, elles ont toujours d’importantes conséquences négatives sur la santé et le développement des enfants.
- « La privation de liberté des mineurs étrangers face aux exigences du droit belge et de la convention européenne des droits de l’homme » - Luc Lebœuf – 1986
- « La détention des familles avec enfants mineurs dans le centre 127bis suspendue par le Conseil d’État : un premier (petit) pas en faveur des droits de l’enfant étranger » - Anne-Catherine Rasson
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