Lors d’un procès à la Cour d’assises, le jugement est rendu par un jury composé de douze jurés. Comment sont-ils choisis ? Quels sont leurs devoirs et leurs droits ? L’article « Et si vous étiez appelé à être juré ? », qui vient d’être publié sur Questions-Justice, répond à toutes ses questions.
Mots-clés associés à cet article : Cour d’assises , Jury , Juré(s) , Attentats de Bruxelles et Zaventem , Procès des attentats de Bruxelles et Zaventem
Mais comment un juré vit-il ce procès ? Nous avons interrogé Serge Loiseau, juré il y a quelques années dans un procès que nous ne détaillerons pas. Il s’agit d’un nom d’emprunt parce qu’un juré ne devrait pas pouvoir être identifié.
Questions-Justice (QJ) : Apprenant que vous êtes désigné comme juré lors d’un procès d’assises, comment réagissez-vous ?
Serge Loiseau (S.L.) : C’est un peu la surprise et puis, très vite, je suis intéressé, j’ai envie de pouvoir vivre ce procès, de comprendre de l’intérieur comment les choses se passent. On a bien des images de films mais je suis curieux de découvrir la réalité.
QJ : Comment commence ce procès ?
S.L. : Une petite semaine avant le début du procès, c’est le tirage au sort des jurés. Nous sommes nombreux dans la salle. J’entends toutes sortes de réactions négatives : « Ce n’est pas possible, j’ai des enfants en bas âge ! » - « Ce sont les portes ouvertes dans mon entreprise ! » - « J’ai des rendez-vous prévus ». Moi, je me demande si je serai pris !
Lorsque le jury est constitué, je suis très surpris par la réaction d’une dame du jury qui déclare : « Cet homme est un monstre, je suis convaincue qu’il est coupable ! ». Elle se fait taper sur les doigts par le Président et est récusée. Je me demande ce qui s’était vraiment passé…
QJ : À ce moment-là, que connaissez-vous de l’accusé ?
S.L. : Je connaissais son nom mais je n’avais aucune idée de qui il était et des circonstances de cette affaire. Je ne me suis pas renseigné, je découvrirai l’affaire au fur et à mesure des audiences, des débats, des discussions avec d’autres jurés, plus au courant que moi.
QJ : Et le procès démarre…
S.L. : D’emblée, les avocats de la défense déposent une requête, ils refusent un procès pour des faits anciens, estimant que le délai raisonnable n’est pas respecté (argument qui reviendra souvent, y compris dans le jugement et la peine). Il faut donc d’abord examiner la recevabilité de cette requête, qui est refusée par le président de la Cour. Cela prend une grande partie de la première journée, avec des suspensions, des retards et, ce que je ne savais pas possible, un changement des avocats de l’accusé entre le début et la fin de cet épisode !
Moi, je suis un peu paumé, je ne comprends pas vraiment ce qu’il se passe. Il y a suspension de séance. Heureusement, le Président de la Cour, très pédagogue, vient nous trouver dans la petite pièce réservée au jury et nous explique ce qui s’est passé, qu’il s’agit d’un droit de la défense.
Ensuite, c’est la lecture de l’acte d’accusation, des dizaines et des dizaines de pages lues pendant presqu’une journée. On entend tout l’historique, tous les éléments du dossier. En écoutant, on a une idée relativement complète de ce sur quoi porte l’accusation.
Ensuite, les témoins sont invités à la barre, témoins de moralité, policiers en charge de l’enquête au moment des faits, experts psychiatriques intervenus lors du procès précédent… Faire appel à la mémoire des gens, ce n’est pas évident et l’on sent parfois l’hésitation des policiers par rapport à des événements anciens très précis.
QJ : Comment vous sentez-vous lors de cette lecture ?
S.L. : Beaucoup d’émotions se bousculent. L’histoire elle-même est glauque, il faut regarder les photos d’autopsie, c’est assez effroyable. On se demande comment des choses pareilles peuvent se produire, c’est assez difficile à vivre. Le gars était impassible, parlait très peu, ne manifeste jamais la moindre empathie. On s’interroge : a-t-il vraiment fait ce dont on parle ou pas ? Cette question, je la ruminerai en permanence avec ce sentiment d’incertitude, de ne pas savoir, pouvoir savoir.
QJ : Tellement les choses sont horribles, l’accusé impassible ?
S.L. : Parce qu’il n’y a pas un élément pour dire qu’on est certain de ce qui s’est passé, parce qu’il n’y a pas de preuve flagrante. Donc, c’est tout un cheminement, tout un questionnement avec la conscience que l’on ne peut pas se tromper dans le jugement qu’on va rendre, qu’il sera décisif, qu’il s’agit de la vie d’une personne…
QJ : Donc c’est une question que l’on se repose tout au long du procès ?!
S.L. : Oui, en continu, on craint de se tromper. En même temps, il y a la curiosité et le désir d’aller jusqu’au bout des choses, d’entendre tous les témoignages, l’avis des psychiatres… Les jurés n’ont pas de contact direct avec l’accusé et les intervenants mais – et c’est intéressant – ils ont la possibilité de préparer des questions à leur intention. Elles sont remises au président du jury, leur porte-parole, qui les remet au Président de la cour. Ce sont des questions pour aller plus loin dans les témoignages et l’on peut demander le retour d’un témoin à la barre. Ce sont aussi de longs débats, qui demandent une attention continue pendant de longues heures, c’est assez éprouvant. Et cela a duré une huitaine de jours. Heureusement, il y a les suspensions d’audience et la pause à midi.
QJ : Que faites-vous alors ?
S.L. : Nous restons entre jurés, enfermés dans une petite pièce. Les repas nous sont servis par un huissier. Nous avons des contacts avec le Président de la Cour, auquel nous pouvons poser des questions d’ordre technique, concernant la procédure. Paradoxalement, une fois la journée terminée, chacun rentre chez lui, le huis clos est brisé.
Moi, je repassais dans mon milieu de travail. Même si quelqu’un me remplaçait, je ne pouvais pas laisser tout tomber pendant une semaine. Puis je rentrais chez moi, lessivé !
QJ : Et vous ne parlez de rien ?! Vous ne vous informez pas hors du procès lui-même devant la Cour d’assises ?
S.L. : Au début, c’est difficile de ne pas pouvoir parler de ce qu’on vit mais cela s’estompe peu à peu. Moi, je ne suis pas non plus l’affaire dans les journaux (ce qui nous est recommandé au départ). C’est clair, je veux vraiment jouer le jeu à la lettre, donc avec les éléments donnés en audience et rien d’autre. Nous avons aussi accès à toutes les pièces du dossier, apportées par un greffier sur deux chariots remplis de dizaines de milliers de pages, les jurés doivent avoir accès à tous les documents. Il est impossible de prendre connaissance de l’ensemble, alors on cherche tel ou tel élément, par exemple un procès-verbal de l’audition d’un policier. On découvre des formulations, des manières de présenter les choses, différentes des témoignages directs. On se rend aussi compte de ce que doit couter un procès avec ces milliers de photocopies à réaliser, à transmettre…
QJ : Au fil des débats, se forge-t-on une idée ?
S.L. : C’est une question délicate, à la limite de ce qu’un juré peut divulguer. Il ne peut pas révéler son vote, ni préciser si la décision est prise à la majorité, à l’unanimité… « Vous emporterez votre vote dans la tombe », nous a dit le président.
QJ : Mais à un moment, il faut une décision !
S.L. : Oui, dans une affaire où il n’y a pas de preuve évidente, le doute est là, jusqu’à la fin, jusqu’au moment de voter. Tout le monde est « aux taquets », nous partageons un énorme sentiment de responsabilité. Nous sommes enfermés pour répondre, par oui ou par non, à différentes questions. Il faut aussi expliquer pourquoi oui ou pourquoi non. Heureusement, nous avons droit à l’assistance du président, qui nous aide à formuler cela d’une manière correcte par une juridiction parce que personne n’a de compétences juridiques pointues parmi les jurés. Il s’agit donc de formuler nos arguments pour que la Cour de cassation ne puisse pas, ensuite, casser l’arrêt. Là encore, le président a pris le temps d’expliquer…
Comme la préméditation a été reconnue, l’accusé a été condamné pour assassinat.
QJ : Puis il faut décider d’une peine…
S.L. : Oui et à ce moment-là, la question du délai raisonnable revient sur la table. Le Président de la Cour explique, autres affaires à l’appui, qu’une peine de trente ans pourrait, à cause de ce jugement tardif, être cassée par la Cour de cassation.
Je découvre qu’il n’y a pas d’appel possible après un procès d’assises, seulement peut-être une possibilité de s’adresser à la Cour de cassation et ensuite, peut-être encore, à la Cour européenne des droits de l’homme.
Les douze jurés et les trois suppléants sont restés en contact après le procès, ont eu des contacts avec le Président du procès, qui les a informés de ses suites.
QJ : Comment se sent-on au moment du verdict ?
S.L. : C’est fini, les choses sont dites. On ressent un certain soulagement, ce qui devait être fait l’a été, les arguments de la défense ont été entendus, pris en compte. Nous avons été à la fois propres et jusqu’aux-boutistes…
QJ : Et aujourd’hui ?
S.L. : Quand j’entends parler d’un procès d’assises, j’ai une pensée pour les jurés. Cette attention continue est éprouvante ! Même si aujourd’hui il y a peut-être plus d’éléments visuels, suivre des débats oraux, sans support d’aucune sorte, c’est vraiment éprouvant !
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