Voici quelques jours, un policier a été tué à Bruxelles. L’auteur de l’acte, Yassine M., s’était présenté quelques heures plus tôt à la police, il avait expliqué haïr la police et avait demandé de l’aide avant de commettre l’irréparable.
Mots-clés associés à cet article : Maladie mentale , Internement , Privation de liberté , Mise en observation , Procédure Nixon
Les autorités auraient-elles pu priver l’intéressé de sa liberté avant cela, ce qui aurait sans doute pu éviter le drame ?
La loi ne permet pas de priver quelqu’un de sa liberté, sauf dans des situations bien précises.
Il y a bien entendu les privations de liberté résultant d’une condamnation d’une personne par un juge d’une peine d’emprisonnement lorsqu’elle est jugée comme ayant commis une infraction méritant pareille peine.
Dans certains cas graves, une personne peut être mise en détention préventive, c’est-à-dire privée de liberté par un mandat d’arrêt délivré par un juge d’instruction, avant même d’avoir été jugée. Il y a aussi la détention administrative (que l’on appelle parfois la »garde à vue » selon l’expression valable en France), décidée par la police dans des conditions très strictes et pour des durées très limitées : la Constitution limite cette durée à quarante-huit heures mais la loi n’admet parfois certaines de ces privations de liberté non judiciaires (par la police donc) que si elles sont bien plus courtes que ce maximum de quarante-huit heures. Et puis il y a une hypothèse plus exceptionnelle encore : c’est celle où toute personne peut arrêter l’auteur d’un flagrant délit ou d’un flagrant crime et appeler alors immédiatement la police en vue d’une éventuelle détention administrative, outre d’autres conditions restrictives.
Mais il y a aussi les situations où une personne qui n’a pourtant pas commis d’infraction est dans un état mental tel qu’elle met gravement en péril sa santé et sa sécurité, ou représente une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui.
C’est de cette situation qu’il sera question dans le présent article.
Quand cet individu refuse de se faire soigner, pour la protéger contre elle-même et/ou pour protéger autrui, cette personne peut alors être « mise en observation ». C’est ce qu’on appelle dans l’arrondissement de Bruxelles la « procédure Nixon ». Celle-ci protège les droits individuels en exigeant un contrôle judiciaire et la présence d’un avocat. Il faut en effet savoir que des abus dans l’autre sens pourraient apparaître si l’on devait arrêter trop rapidement quelqu’un parce qu’il montrerait des signes de déséquilibre mental : dans bien des pays, ces abus sont bien réels et inacceptables et, dans le passé, la Belgique n’a pas été au-dessus de tout reproche à ce sujet.
Via le procureur du Roi
Une procédure d’urgence peut être activée par le procureur du Roi. Après avis écrit d’un médecin ou demande écrite d’une personne intéressée joignant un avis médical, le procureur peut décider la mise en observation de la personne dans un service psychiatrique qu’il désigne.
Respectant la procédure prévue, le policier auquel Yassine M. s’est adressé a pris contact avec le parquet, comme le prévoit la « procédure Nixon », qui exige un contrôle judiciaire. Quatre magistrats ont alors évalué la menace, constaté que Yassine M. n’était pas armé, n’avait pas fait preuve de violence et avait appelé à l’aide. Il demandait à être soigné. Il n’avait plus fait l’objet d’enquêtes pénales depuis 2019. Les conditions légales pour le priver de liberté n’étaient donc pas réunies. Aurait-il pourtant dû être arrêté ? C’est une des questions que soulèvera l’enquête.
Le magistrat du parquet a alors décidé de faire conduire cet homme au service psychiatrique des cliniques Saint-Luc pour un examen. C’est ce qui a été fait, Yassine M. ayant marqué son accord. Mais il est ressorti sans examen et est passé à l’acte. La loi du 26 juin 2010, qui a prévu cette procédure, précise aussi que « la personne qui se fait librement admettre dans un service psychiatrique peut le quitter à tout moment ». Cette loi a donc, de nouveau, été respectée.
D’autres questions se posent lorsque l’on rappelle le passé de Yassine M., fiché par l’OCAM (l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace) et donc considéré comme un individu potentiellement dangereux, radicalisé, sorti de prison en bout de peine. Les policiers qui l’ont accompagné auraient-ils dû rester présents ? Comment a-t-il été possible qu’il soit resté seul sans surveillance à l ‘hôpital avec ce passé ? Ce sera aussi à l’enquête à comprendre, à expliquer comment et pourquoi les faits se sont déroulés de cette manière.
A priori, la loi semble avoir été respectée. Il faut certes rappeler que le risque zéro est un rêve impossible mais il n’en demeure pas moins que la loi devrait sans doute être adaptée pour tenter d’éviter que des situations « limite » comme celle dramatique qui a conduit au meurtre du policier se reproduisent. Le Conseil supérieur de la Justice a d’ailleurs entamé une enquête à la suite de ces faits, non pas pour se substituer à la Justice, ce qui sortirait de son rôle, mais précisément, sur la base du dossier, « [formuler, le cas échéant,] des recommandations […] pour que des tels évènements ne puissent se reproduire ».
L’actualité a malheureusement montré que la part d’imprévu, et donc de risque, n’est pas non plus résolue avec l’emprisonnement d’une personne déséquilibrée. En effet, quelques jours après la mort du policier, une autre personne s’est montrée menaçante, envers un hôpital, cette fois. Ici, la procédure « Nixon » a été activée à la demande du procureur du Roi, mais elle n’a pas abouti : après l’examen par un psychiatre, il semble que les conditions n’étaient pas réunies. Toujours selon les informations parues dans la presse, la décision fut alors prise de placer la personne en détention préventive, compte tenu de son comportement violent. En prison, le déséquilibré s’est immolé par le feu et est décédé.
Deux situations critiques, deux décisions urgentes et différentes, deux personnes sont mortes. Rien n’est comparable, chaque situation doit être analysée, et la loi devra être évaluée. Mais la coïncidence de ces faits appelle ainsi à réfléchir, de manière nuancée, sur les missions de la police et de la justice, ainsi que sur les mécanismes de prises de décision en cas de situation d’urgence causée par une personne déséquilibrée.
Nous reviendrons dans un article ultérieur sur le rôle des magistrats de garde.
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