Plusieurs personnes d’origine palestinienne et syrienne se sont installées sans autorisation dans un immeuble d’habitation rue Goffart à Ixelles. Elles ont introduit une demande d’asile en Belgique, ce qui leur donne normalement droit à un logement.
Mais Fedasil, l’agence chargée de l’accueil des demandeurs d’asile, ne leur a pas trouvé de logement.
Le Conseil d’État a été saisi de ce dossier. Qu’en a-t-il décidé ?
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Photo @ PxHere.com
De la plainte à l’expulsion
Cet immeuble appartient à trois personnes qui, le 7 octobre 2024, ont déposé plainte pour occupation illégale de leur propriété.
Le 7 octobre également, les services de police ont décidé, pour la sécurité des occupants, de couper le gaz et d’apposer des barrières interdisant l’accès à certaines pièces.
Le 10 octobre, Cover, un dispositif qui aide les personnes en recherche d’un hébergement d’urgence parce qu’elles sont en squat ou en rue, établit un rapport. En résumé : cette maison offre un abri préservant un minimum de dignité ; les conditions de vie y sont acceptables et maintenir ces personnes à l’abri apparait préférable à une expulsion vers la rue.
Le 4 novembre, le service Rénovation urbaine et mobilité de la commune d’Ixelles rédige à son tour un rapport et conclut « que le bien est inhabitable, qu’il faut expulser les occupants, qu’il y a un réel danger pour la sécurité et la salubrité publique ».
Le 8 novembre, le bourgmestre déclare l’immeuble inhabitable : l’habitation et l’occupation y sont interdites. Les occupants, à titre exceptionnel, peuvent y demeurer jusqu’au 19 novembre 2024 à 23 heures. Ensuite, tout occupant pourra être expulsé par la force publique.
Les occupants sont avertis, en mains propres, le 11 novembre.
Extrême urgence au Conseil d’État
Ils s’adressent alors à la section du contentieux administratif du Conseil d’État. Ils lui demandent, en extrême urgence, de suspendre l’arrêté du bourgmestre.
Puisque l’expulsion devrait avoir lieu à partir du 19 novembre, attendre qu’un procès ait lieu ne permettra pas d’avoir une décision en temps utile. Cela pourrait gravement léser les occupants. C’est pourquoi le Conseil d’État accepte de juger en urgence. Devant lui se retrouvent donc les représentants de la commune d’Ixelles, des occupants et des propriétaires, ces derniers acceptés comme « parties intervenantes ».
Deux rapports différents
Pour Questions-Justice, il n’est pas possible de présenter en détail le déroulé de cet arrêt (nom donné au jugement du Conseil d’État), rendu le 19 novembre 2024 (arrêt n° 261.377). Nous nous limiterons à l’essentiel avec, d’une part, le constat de l’état du bâtiment et, d’autre part, l’étude du droit au logement.
Tout d’abord, qu’en est-il de l’état du bâtiment, vu les deux constats réalisés ? En réalité, le rapport établi par Cover ne permet pas de contredire les constats de l’architecte du Service Rénovation quant aux risques d’incendie. Ce rapport se limite à affirmer que les pièces occupées par les habitants actuels sont en bon état. Il ne conteste pas les constats de l’agent communal qui montrent bien le danger pour la sécurité publique.
Quid du droit au logement ?
Qu’en est-il alors du droit au logement et plus précisément du droit au respect du domicile ?
Les représentants des habitants invoquent différents textes juridiques. Ainsi, le droit au respect du domicile est affirmé, tant par la Constitution belge (article 15) que par la Convention européenne des droits de l’homme (article 8). La Constitution précise aussi le droit à une vie conforme à la dignité humaine, ce qui comprend le droit à un logement décent.
Un autre texte de droit, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, reconnait également le droit au logement. Ce texte précise encore que toute expulsion d’un logement ne peut avoir lieu qu’en dernier recours et que la personne concernée doit avoir eu un possible accès à un recours.
De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme estime que l’expulsion d’un local, occupé illégalement, mais qui est bien un domicile, ne respecte pas le droit au respect du domicile.
Les représentants des trois habitants soulignent aussi que leur situation illustre « l’incapacité de Fedasil à remplir ses missions. Depuis l’été 2021, […] des milliers de demandeurs et demandeuses d’asile sont contraints de vivre dans la rue ». Cela serait aussi le cas des habitants concernés si la décision du bourgmestre était appliquée.
En conclusion…
Pour le Conseil d’État, la décision du bourgmestre « est bien une ingérence dans le droit des habitants à l’inviolabilité du domicile qu’ils occupent sans titre ni droit ». Mais, simultanément, « cette ingérence poursuit un but légitime, la préservation de la santé publique et des requérants ».
D’une part, l’ingérence, donc le non-respect, la limitation, est bien constatée. D’autre part, le but de cette ingérence est légitime. Le Conseil d’État doit alors examiner si cette ingérence n’est pas disproportionnée. Elle se réfère alors à des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme qui ont notamment tenu compte de la possibilité d’un autre hébergement.
Le Conseil d’État a tenu compte des éléments suivants :
- la commune n’a pas fourni une solution alternative (mais seulement renvoyé les occupants vers le Samu social) ;
- les occupants n’ont pas été rencontrés et donc n’ont pas pu être entendus avant la décision de les expulser ;
- ils n’avaient qu’un peu plus d’une semaine pour trouver un autre logement.
Il en a déduit que la décision d’évacuation du 8 novembre 2024 constitue une ingérence disproportionnée à l’inviolabilité du domicile des trois habitants concernés.
Le Conseil d’État décide donc la suspension de l’exécution de l’arrêté du bourgmestre. L’évacuation ne peut avoir lieu comme prévu. La suspension est une décision temporaire, une deuxième décision devra intervenir et se prononcer sur l’annulation de la décision du bourgmestre (sauf si une solution a été trouvée entretemps).
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