Du 26 juin au 12 aout 2011, un Belge – appelons-le Jacques - est placé en détention préventive à la prison d’Arlon. Il est arrêté parce qu’il est suspecté d’avoir commis des violences conjugales.
Mots-clés associés à cet article : Prison , Convention européenne des droits de l’homme , Traitement inhumain et dégradant , Internement , Droit à la vie
Le juge d’instruction prévient la prison que ce détenu a des tendances suicidaires.
Le détenu a des tendances suicidaires
Effectivement, dès son arrivée, cet homme tente de se suicider à trois reprises. Les agents pénitentiaires lui retirent alors tous ses effets et objets personnels et le placent dans une cellule d’isolement sécurisée. Pendant quelques jours, il reste sous surveillance spéciale avant d’être libéré sous condition par le juge d’instruction, le 12 aout.
Comme Jacques ne respecte pas les conditions de sa libération, il doit réintégrer la prison le 21 octobre 2011. Il demande alors, à plusieurs reprises, à changer de cellule et se plaint de ses codétenus.
N’obtenant pas satisfaction, il menace de se suicider. Les agents pénitentiaires le placent alors en cellule d’isolement, sous surveillance spéciale. Quand ces agents le découvrent prêt à se jeter dans le vide à l’aide d’un de ses vêtements, ils l’arrêtent. Sur ordre médical, ils lui font porter un casque et le menottent jusqu’au lendemain, pour l’empêcher de se blesser en se tapant la tête au mur. Jacques passe ensuite trois jours en cellule d’isolement, le directeur de la prison jugeant qu’il fallait une sanction disciplinaire parce que les menaces de suicide étaient destinées à faire pression sur le personnel pour obtenir un changement de cellule.
Jacques est remis en liberté sous condition le 2 décembre 2011.
Plainte pour traitement inhumain et dégradant
En avril 2014, il porte plainte contre X. Il estime avoir subi un traitement inhumain et dégradant pendant ses deux périodes de détention. Il se plaint aussi d’avoir été placé dans une cellule ordinaire alors qu’il aurait dû bénéficier d’un soutien psychologique, vu ses problème psychiques. Mais sa plainte se termine par un non-lieu : autrement dit, la chambre du conseil considère que des poursuites devant le tribunal correctionnel ne se justifient pas et qu’il n’y aura donc pas de jugement. La chambre des mises en accusation confirme ce non-lieu.
Le pourvoi en cassation est rejeté et Jacques s’adresse alors à la Cour européenne des droits de l’Homme.
À la même période, il est condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis pour attentat à la pudeur et violences ou menaces et coups et blessures sur son épouse. Pas d’accord avec ce jugement, il introduit un recours devant la cour d’appel qui le déclare irresponsable. Son arrestation est immédiate et il est interné.
Deux articles en cause
Devant la Cour européenne des droits de l’Homme, Jacques estime que deux articles de la Convention européenne des droits de l’Homme n’ont pas été respectés. Selon lui, les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour l’empêcher de se suicider alors que le risque était certain et immédiat. Donc, l’article 2 de la Convention, concernant le droit à la vie, n’aurait pas été respecté.
Jacques invoque également l’article 3 de la même Convention, qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Il estime ne pas avoir reçu les soins médicaux dont il avait besoin et se plaint du traitement subi pendant ses placements en isolement. Il se plaint également de l’absence d’une réelle enquête lors de l’instruction de son dossier.
Oui et non
La Cour, dans son arrêt du 31 mars 2020, estime que les agents pénitentiaires, connaissant le risque de suicide, ont fait ce qu’il fallait pour empêcher Jacques de se suicider. Elle constate qu’effectivement, il ne s’est pas suicidé. Donc, dit la Cour, l’article 2 a été respecté.
Par contre, « le manque d’encadrement et de suivi médical au cours de ses deux périodes de détention combiné avec l’infliction d’une sanction disciplinaire dans une cellule d’isolement pendant trois jours alors qu’il avait commis plusieurs tentatives de suicide ont constitué une épreuve particulièrement pénible ». Cette épreuve a dépassé le niveau de souffrance inhérent à la détention, précise encore la Cour. Ce type de traitement a nécessairement provoqué des sentiments d’arbitraire, d’infériorité, d’humiliation et d’angoisse. Et donc, oui, Jacques a bien été soumis à des traitements inhumains et dégradants, interdits par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour constate également une enquête insuffisante dans le dossier d’instruction de 2014.
En conclusion, la Cour condamne la Belgique à payer 15 000 euros à Jacques pour dommage moral et 8 000 euros pour frais et dépens.
La Belgique condamnée pour traitement inhumain et dégradant en prison
19 mai 2020
Jacques Fierens
Le non-lieu n’est pas consécutif à la décision du parquet de ne pas poursuivre devant le tribunal correctionnel, ce qui équivaudrait à un classement sans suite, mais à celle de la juridiction d’instruction, la chambre du conseil, selon laquelle il n’y a pas lieu à poursuivre.
Par ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure l’administration a le droit d’empêcher quelqu’un de se suicider, ce qui n’est pas un comportement interdit par la loi. La question n’est pas abordée par l’arrêt de la Cour européenne.
Répondre à ce message
La Belgique condamnée pour traitement inhumain et dégradant en prison
18 mai 2020
skoby
Je ne pense pas qu’il s’agit de traitement inhumain et dégradant, mais je pense qu’il
aurait dû être interné et soigné après ses 3 tentatives de suicide. Remis en liberté,
remis en prison, suivi de violences conjugales, il y a donc eu un manque de suivi.
De là à recevoir un dédommagement financier, il y a de la marge, surtout au
moment où il vient d’être une nouvelle fois condamné à 4 ans de prison !
Répondre à ce message