Bâillonner, voilà un mot que l’on retrouve dans les histoires de cambriolage : les voleurs ont mis un bâillon au propriétaire pour l’empêcher de parler et d’avertir la police pendant qu’il commettait ses vols.
On entend maintenant parler de « procédure bâillon ». Mais de quoi s’agit-il ?
Mots-clés associés à cet article : Vie privée , Liberté d’expression , Médias , Droit au respect de la vie privée , Presse , Liberté de la presse , Protection de la vie privée , Censure , Droit à l’information , Procédure bâillon
Depuis un certain temps, des personnes ou des entreprises s’adressent à la justice pour réclamer de très importantes sommes d’argent à des journalistes. Elles imaginent que cela les fera taire. Elles pensent qu’ils s’autocensureront plutôt que de risquer d’être obligés de se défendre en justice, ce qui coute cher, et de devoir peut-être payer de très grosses sommes d’argent.
Quelques exemples
Récemment, en septembre 2023, le président du tribunal de première instance de Termonde a fait interdire la publication d’un article relatant les propos racistes envers les Roms. C’était à la demande de Conner Rousseau, président du parti Vooruit, qui allait être jugé pour ces propos. Le juge a effectivement interdit la publication : il a estimé qu’elle ne respectait pas le droit de Conner Rousseau à un procès équitable.
Cette décision a été annulée par la Cour d’appel de Gand en mars 2024. Parce que la censure est interdite par la Constitution.
Le 4 septembre 2024, un huissier s’est adressé au Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles pour faire effacer son nom d’une enquête de la RTBF concernant les huissiers de justice. Il n’a pas obtenu satisfaction.
Le 10 octobre 2024, le Tribunal de première instance de Liège a suspendu la publication d’un article du journal « Le Soir » concernant les problèmes judiciaires d’un échevin verviétois pour infractions fiscales. À la veille des élections, l’article censuré menacerait « le droit à l’honneur, à la réputation et au respect de la vie privée » de cette personne.
En octobre 2024, une journaliste du magazine Wilfried a signé un article à propos de l’ancien bourgmestre d’Andenne. Elle évoque un comportement autoritaire, parfois menaçant et même sexiste. Elle est assignée au tribunal par l’ancien bourgmestre et la ville d’Andenne.
Actuellement, la ministre de l’Intérieur et un fonctionnaire de l’État intentent un procès au groupe Sud Presse. Ils demandent la suppression de cinq publications en ligne, datant de novembre 2023 à juin 2024. Celles-ci concernent le Qatargate, un scandale de corruption. Ils demandent également au tribunal d’interdire à l’avenir au groupe Sud presse d’utiliser ces informations. La demande a été rejetée par le Tribunal de première instance de Namur.
Interdit de faire savoir !
Interdire un livre, un article, une expo, une œuvre d’art, cela s’appelle censurer. C’est limiter et ne pas respecter la liberté d’expression d’un auteur, journaliste, écrivain, artiste. Cette censure a lieu avant une publication ou une diffusion qu’elle veut empêcher en s’adressant à la justice via cette « procédure bâillon ».
Quand un article ne peut pas être publié, quand une émission télévisée ne peut pas avoir lieu, cela signifie que des informations ne peuvent pas circuler. Le public n’en aura pas connaissance, il ne pourra pas en tenir compte. Son droit à l’information ne sera pas respecté non plus.
Après une publication, une personne qui s’estime lésée peut demander des dommages et intérêts. On ne parle plus alors de censure. C’est le cas de l’ancien bourgmestre d’Andenne.
Et pourtant…
La liberté de la presse fait partie de la liberté d’expression et celle-ci est reconnue par des traités internationaux, comme la Convention européenne des droits de l’homme. En Belgique, elle est protégée par la Constitution belge. En effet son article 25 est très clair : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ».
Ce n’est pas par hasard ! En effet, la presse, les médias, jouent un rôle important dans une démocratie : une presse libre est même un pilier de la démocratie !
La Constitution interdit donc que l’on diminue, supprime ou censure la liberté de la presse. Les juges devraient respecter cette interdiction. Ils doivent en tous cas mettre en balance la protection des personnes et de leurs droits personnels et l’information au public avant de restreindre la liberté d’expression. Certains juges, de plus en plus souvent, acceptent de limiter cette liberté d’expression. Ils le justifient en invoquant un autre droit, par exemple le droit au respect de la vie privée qu’ils jugent plus important, prioritaire. Le droit à l’information de tous devient moins important qu’un droit individuel.
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